Lors d’une rencontre intersyndicale nous avions décidé avec nos partenaires (SE-UNSA, UNSEN-CGT, SGEN-CFDT) de proposer à Libération de faire paraître la tribune ci-après. Elle a été publiée dans l’édition du jeudi 4 janvier . Il a également était convenu, sur cette base, de demander une audience au ministre de l’Education nationale.

Ce texte est le résultat d’un compromis, à l’évidence il ne reprend pas tous les mandats du SNUEP, mais nous le publions car il nous semble important qu’un large éventail de syndicats condamnent ensemble, publiquement, la survalorisation de l’apprentissage et rétablissent la réalité du rôle et de la qualité de l’enseignement professionnel.

TRIBUNE

Il y a un an à peine, les émeutes faisaient rage dans les quartiers urbains de notre pays. Cet « anniversaire » a beaucoup été évoqué. Mais on

se sera finalement peu arrêté sur les mesures qui en ont découlé, censées marquer, après la répression, l’écoute et la compréhension.

L’une d’entre elles nous paraît le triste symbole d’un double contresens : le retour à l’apprentissage à 14 ans.

En contradiction avec les objectifs proclamés par la loi d’orientation, la scolarité, obligatoire jusqu’à 16 ans pour tous, ne le serait plus que jusqu’à 14 ans pour les jeunes en difficulté. La mise en ouvre pratique de cette mesure lui a, certes, fait connaître quelques évolutions : pour orner la devanture, elle fut affublée d’un nom plus sympathique (« l’apprentissage junior ») et on porta à 15 ans, et non plus 14, la signature légale du contrat d’apprentissage qui en fait des salariés et non plus des élèves. Mais ces ravalements de façade n’ont rien changé au fond.

Aux jeunes de nos banlieues vivant au jour le jour la relégation sociale, le gouvernement répondait en rétablissant une voie de relégation scolaire abandonnée depuis trente ans. Ajouter la relégation à la relégation était un premier contresens politique et social. Mais c’était commettre un second contresens, éducatif celui-là, que de fixer comme solution pour des jeunes en difficulté scolaire, la voie professionnelle, enfermant un peu plus cette dernière dans un stéréotype dévalorisant. Plutôt que de rechercher les moyens de prévenir dès le primaire, puis de traiter au collège la difficulté scolaire, on ouvrait, une fois de plus, la voie de la mise à l’écart dans le professionnel. A nouveau, on associait « professionnel » à échec. Comme si, pour apprendre un métier, on n’avait pas besoin de savoir grand-chose.

Cette attitude condescendante manifeste surtout une profonde méconnaissance. Nous sommes au XXIème siècle : la technicité de tous les métiers s’est considérablement accrue et on ne peut y accéder sans l’appui de solides connaissances générales. De surcroît, l’évolution accélérée des techniques et la mobilité professionnelle impliquent que les futurs salariés disposent de ces outils intellectuels qui leur permettront adaptation et reconversion. Nous sommes au XXIème siècle : la réussite des études, qu’elles soient courtes ou longues, à finalités professionnelles ou non, implique une motivation de ceux qui les suivent, incompatible avec

une orientation imposée par défaut à des gosses de 14 ou 15 ans en grande difficulté.

La réalité a d’ailleurs tout naturellement repris ses droits. Inadapté aux réalités éducatives et professionnelles, « l’apprentissage junior » a fait

pschitt. Il n’a accru les effectifs de très jeunes apprentis que d’un petit millier de jeunes seulement à cette rentrée, ce qui montre bien son caractère inadapté, dénoncé par les éducateurs comme par les entreprises.

Mais au flagrant délit de méconnaissance s’est rajoutée une survalorisation de l’apprentissage, dont il faut rappeler qu’il relève à plus de 80 % du secteur privé, promu modèle miracle contre le chômage des jeunes. Le plan Borloo, en fixant à 500 000 l’effectif d’apprentis à

atteindre en France, a choisi la concurrence avec l’enseignement professionnel initial. A-t-on bien mesuré quelle logique on risquait ainsi de mettre en place ?

En concevant l’apprentissage comme alternatif à la formation initiale sous statut scolaire, on choisit d’affaiblir l’enseignement professionnel public. Celui-ci, trop souvent oublié dans les discours officiels, est par principe ouvert à tous les élèves. Il délivre aujourd’hui la majorité des diplômes professionnels par l’intermédiaire de ses lycées. Il est grand temps, là encore, de sortir des stéréotypes souvent misérabilistes qui collent à cette voie de formation initiale. Le travail remarquable qui y est fait auprès des 724 000 élèves qu’il accueille est en effet largement ignoré. L’enseignement professionnel public a su s’ouvrir et s’adapter.

Depuis près de 20 ans, on y lie formations générale et professionnelle par le biais de l’alternance sous statut scolaire. On y travaille en relation permanente avec les entreprises. On y met en ouvre des pédagogies ouvertes pour répondre aux besoins des élèves et les motiver. On y pratique des passerelles visant à élargir les parcours scolaires des jeunes. En relation étroite avec les professionnels, on a su y faire évoluer les formations et les diplômes, à commencer par les bacs professionnels qui sont pour beaucoup dans l’accroissement du nombre des diplômés de niveau IV qu’a connu notre pays. On a su s’y adapter aux nouvelles technologies, y introduire les nouvelles techniques et on y dispose souvent de plateaux techniques performants.

Ces résultats et réalisations peuvent et doivent toujours être améliorés. Les plus de 60 000 enseignants qui y travaillent avec conscience, inventivité et dévouement, y sont prêts, à condition que l’on cesse d’accumuler les incertitudes sur leur devenir et celui de leurs établissements. Concurrence déloyale de l’apprentissage privé, asphyxie budgétaire, suppressions d’emplois, à l’instar de ce que le gouvernement impose à l’ensemble du système éducatif, aboutissent aux dégradations des conditions de travail et aux diminutions de l’offre de formation faite aux jeunes.

Cette conception toujours condescendante et stéréotypée de la voie professionnelle, incarne les maux dont souffre notre enseignement professionnel public. A l’opposé, nous voulons dire ici que notre pays dispose, avec lui, d’un véritable atout. Que les décideurs publics, au gouvernement et dans les conseils régionaux, en prennent conscience, qu’ils confortent et promeuvent cette offre de service public comme une vraie voie de réussite, c’est à la fois l’intérêt des jeunes et celui du développement de notre pays !

Luc Bérille (Secrétaire Général du SE-UNSA), Jean-Luc Villeneuve (Secrétaire Général du SGEN-CFDT), Jean-Claude Duchamp (Co-Secrétaire National du SNUEP-FSU), Denis Baudequin (Secrétaire Général de l’UNSEN-CGT)

Source: fsu81